Lettre ouverte sur les pensions
Peut-être avez-vous décidé d'aller travailler en train aujourd'hui, même s'il a du retard. Peut-être avez-vous pris un jour de congé pour faire vos achats de Noël. Ou peut-être avez-vous décidé de manifester à Bruxelles pour 'plus de pouvoir d'achat, des carrières faisables et des pensions décentes', comme nous avons pu le lire sur le site web des syndicats.
Cela, nous le comprenons. Le monde change, parfois plus vite qu'on ne le pense ou le voudrait. C'est source d'incertitude, car nous ne savons pas ce que l'avenir nous réserve. Des réformes ambitieuses au niveau du marché du travail ou des pensions s'imposent néanmoins. Le taux d’emploi belge (69,1%) est en effet bien en deçà de la moyenne européenne de 72,7%. La différence avec les autres pays en termes de durée moyenne de la carrière (source : OCDE) est sous-estimée. La carrière moyenne est de 32,9 années en Belgique, 35,2 en France, 38,4 en Allemagne, 39,2 en Norvège, 39,6 au Danemark, 40,1 aux Pays-Bas et 41,7 en Suède. La différence entre la Belgique (et la France) et les autres pays est intenable : il est impossible d'avoir à la fois les meilleures pensions du monde et les carrières les plus courtes. Il faut savoir que la différence entre la Belgique/France et les autres pays n'est pas marginale; elle est énorme.
Ce paragraphe vous dit quelque chose ? C’est possible. Il faisait partie d'une lettre ouverte publiée le 3 janvier 2004 par Frank Vandenbroucke et Johan Vande Lanotte. Dans quelques semaines, cette lettre datera exactement d'ici y a 15 ans, mais elle est toujours d'actualité. Un simple chiffre illustre en effet pourquoi une politique ambitieuse en matière de pensions devrait être l'évidence même : 1,7. C'est le nombre de personnes qui cotiseront pour un seul retraité en 2060. Aujourd'hui, ils sont encore 2,2.
Cela signifie tout simplement que notre système de répartition est menacé. En vertu de ce système, les cotisations retenues sur les salaires des actifs d'aujourd'hui sont redistribuées aux retraités d'aujourd'hui. Moins il y a d'actifs, moins il y a de cotisations pour les pensions. Cette évolution est d'ailleurs en cours depuis un moment déjà, ce qui se fait sentir au niveau des dépenses publiques courantes. En effet, 20% en sont affectés aux pensions et, à politique inchangée, ce pourcentage ne fera que croître.
Ce système ne pourra être maintenu que si nous augmentons le taux d'emploi. Ou y a-t-il d'autres options ? On pourrait éventuellement réduire les dépenses sociales pour les réorienter vers les pensions. On pourrait aussi augmenter les impôts, ce qui ne consoliderait pas la croissance de notre économie de notre pays qui, selon Eurostat, arrive déjà en seconde place des pays connaissant la pression fiscale la plus élevée d'Europe (47,3%). Seule la France nous devance.
Cela implique d'adopter un certain nombre de mesures paraissant peut-être un peu moins évidentes aux yeux des initiateurs de cette manifestation, à savoir une poursuite de la réduction des charges sur le travail et plusieurs mesures structurelles axées sur des carrières faisables et maniables plus longues. Le processus a été amorcé il y a quelques années. Selon des études réalisées par le Bureau du plan, la Banque nationale et la KULeuven, notre pouvoir d'achat a augmenté. Des chiffres de l'OCDE, d'Eurostat et d'Eurofound indiquent que nous comptons parmi les meilleurs élèves d'Europe eu égard à la qualité du travail, la satisfaction au travail et l'équilibre travail-famille.
Nos pensions brutes sont certes relativement faibles mais, en net, un cadre conserve 52% de son dernier salaire, un employé 71% et un ouvrier 80%. La situation peut bien sûr être sensiblement améliorée, surtout pour ceux qui sont confrontés au risque de pauvreté. En revanche, il est incontestablement positif que 75% de la population active ait constitué un second pilier des pensions et que 2,5 millions des Belges effectuent aussi une épargne personnelle pour leur pension. Ces trois piliers combinent, d'une part, la capitalisation et la répartition et, d'autre part, la responsabilité collective et individuelle. Cette combinaison est la meilleure garantie d’une pension correcte et d’une payabilité durable en dépit d’éventuels chocs économiques subits.
L'État-providence est comme un pétrolier en mer. Faire changer de cap un superpétrolier requiert une manœuvre compliquée. Convaincre tout l'équipage de la nécessité de changer de cap et de bien préparer la manœuvre sont deux conditions de réussite. Telle était la conclusion des deux ministres socialistes en 2004, et elle vaut toujours aujourd'hui. Dès lors, des réformes ambitieuses sont indispensables si nous jugeons important que les générations suivantes puissent aussi bénéficier d'une pension digne et bien méritée.