La COVID-19, une opportunité à saisir pour la démocratie actionnariale ?
Si l’empire du Milieu a probablement abrité les premiers foyers de coronavirus, il nous apporte aussi une clé de réflexion intéressante quant au sens de la notion même de crise. En effet, en mandarin, le mot « crise » est composé de deux caractères : l’un signifiant « danger » et l’autre « opportunité de changement ». Peut-être qu’à travers ce prisme, la crise que nous traversons nous permet de poser un regard novateur sur la question du dialogue actionnarial.
La première vague de la pandémie a traversé l’Europe à l’instant même où des millions de sociétés et associations s’apprêtaient à tenir leur grand-messe annuelle de la démocratie actionnariale : l’assemblée générale. En conséquence, nos législateurs respectifs ont dû, aussi rapidement que possible, fournir le cadre réglementaire nécessaire pour permettre une alternative à l’assemblée générale traditionnelle. C’est ce que firent, par exemple, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni, dont les règles spéciales sont encore en vigueur aujourd’hui. En Belgique, sous l’impulsion de la FEB, l’arrêté royal n°4 du 9 avril 2020 a été pris, en exécution de la loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus. Cet AR, en vigueur jusqu’au 30 juin dernier, offrait notamment la faculté, pour à peu près toutes les personnes morales, de tenir une assemblée générale de manière entièrement digitale.
Une étude réalisée par GUBERNA constate que près de 40% des assemblées générales tenues depuis mars ont fait usage de cette faculté, principalement en permettant aux actionnaires de suivre l’assemblée générale en vidéo ou audio. Ce nombre important nous semble révéler la capacité des entreprises à faire usage de la technologie pour s’engager dans un dialogue de plus en plus constant et de plus en plus constructif avec leurs actionnaires. Ce dialogue, et la possibilité de permettre la participation à distance aux assemblées générales, est d’ailleurs l’objectif avoué des deux directives européennes successives portant sur les droits des actionnaires (SRD et SRD II). L’instauration d’un dialogue effectif par le conseil d’administration est également l’un des principes centraux du Code belge de gouvernance d’entreprise (Code 2020).
Nous pensons que dans un monde de plus en plus globalisé et aux prises avec des défis et des crises à répétition, il est important que le conseil d’administration dispose d’outils efficaces lui permettant d’instaurer ce dialogue, y compris avec ses actionnaires géographiquement plus éloignés, et en particulier en temps de crise. Pour ces différentes raisons, nous saluons l’initiative du vice-Premier ministre et ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne et du secrétaire d’État à la Digitalisation Matthieu Michel de mettre en place le cadre nécessaire pour cette transition digitale des sociétés et des associations favorable à un dialogue constructif et à l’épreuve de toutes les circonstances.
Nous leur demandons cependant de respecter la philosophie et l’esprit du récent Code des sociétés et des associations : simplicité, flexibilité et mobilité. En effet, si l’avant-projet dont nous avons connaissance est animé d’excellentes intentions, il devrait néanmoins être amélioré sur les quatre points suivants :
1) Permettre à l’organe d’administration de convoquer une assemblée générale à huis clos en cas de danger grave et imminent pour la santé ou la sécurité des participants, comme c’était le cas en vertu de l’AR n°4.
2) Revoir certaines des obligations contenues dans l’avant-projet quant aux conditions imposées pour la tenue des assemblées générales digitales.
3) Ne pas imposer aux sociétés cotées qui ne le souhaiteraient pas de devoir fournir une possibilité aux actionnaires de participer à l’assemblée générale de manière digitale, en tout cas tant que la technologie disponible sur le marché ne permet pas de le faire à un coût raisonnable et avec la garantie que les participants sont bien actionnaires. On relèvera également qu’une telle obligation n’existe pas dans les pays voisins.
4) Confirmer que les réunions des organes d’administration collégiaux ne sont pas nécessairement des réunions physiques, ce que soutient la doctrine classique.
Enfin, nous nous réjouissons de la volonté du vice-Premier ministre et ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne d'opter pour une justice plus numérique, ainsi qu’il l’a indiqué dans son exposé d’orientation politique le 4 novembre dernier. Nous espérons également que les formalités liées aux dépôts et aux publications des actes des sociétés et des associations seront simplifiées et que les entreprises pourront facilement et en toute sécurité remplir ces obligations d’une manière moderne, numérique et conviviale, avec l’aide de services publics ayant à cœur de diminuer les charges administratives et de faciliter la vie de leurs administrés. Nos encouragements sont également dirigés en la matière vers les autres membres du gouvernement, tant il est vrai que les formalités et publications imposées aux entreprises ne sont pas limitées au seul domaine de la Justice.