Une Rolls-Royce équipée d’un moteur 2CV n’atteindra jamais le sommet
Tout le monde veut mener des réformes. Enfin ! Après deux années de coronavirus très pénibles durant lesquels tous les efforts se sont focalisés sur la lutte contre le virus, nous sommes maintenant confrontés à une tâche encore plus difficile. La crise ukrainienne nous inflige des blessures économiques encore plus profondes. Des réformes sont absolument nécessaires pour préserver notre niveau de vie et notre bien-être.
Pour le moment, nous devons constater que notre pays conduit une Rolls-Royce, laquelle s’est transformée en petite 2CV faute de révisions effectuées à temps. Le moteur permet encore de faire avancer l’auto pesant 2 tonnes ... sur un parcours à plat, sans trop de virages et de côtes, s’entend. Elle peut encore traverser les Ardennes, mais le Mont Ventoux avec si peu de chevaux, c’est peine perdue.
La Rolls-Royce symbolise notre désir de disposer d’un système public et d’une sécurité sociale dotés de toutes les options. Avec un système éducatif bon marché parmi les meilleurs au monde. Et une sécurité sociale qui nous garantit de nombreux régimes de congés supplémentaires, une pension élevée, des allocations de chômage illimitées dans le temps, des soins de santé abordables ET des salaires qui restent automatiquement indexés (même en période d’inflation galopante).
Nous voulons tous garder cet État-providence Rolls-Royce. Qui ne le voudrait pas ? Mais comment assurer son financement ? En effet, aujourd’hui, dans un contexte d’explosion des coûts énergétiques et salariaux, il n’est plus du tout finançable.
Notre pays possède la deuxième pression fiscale la plus élevée au monde et l’écart entre les coûts salariaux réels pour les entreprises et ce qu’il reste en net aux travailleurs est très important. Pire encore, ce coin fiscal fait de nous des champions du monde. C’est ce qui explique en partie qu’une heure de travail dans notre pays coûte aujourd’hui 16% de plus que dans nos pays voisins, ce qui met l’emploi sous pression. Les coûts salariaux élevés contraignent en effet les entreprises à maximiser leur productivité par la digitalisation et la robotisation. De plus, de nombreux régimes permettant de travailler moins (ou de ne pas travailler du tout), tout en étant payé, font que la charge de travail repose sur de moins en moins d’épaules, ce qui accroît le stress pour les travailleurs restants.
Bref, au fil des décennies passées, le moteur qui est censé propulser la lourde Rolls-Royce a perdu de sa puissance pour en être réduit à un 2CV toussotant.
DES RÉFORMES ? OUI !
Enfin. Tous les partis politiques sont de plus en plus convaincus de la nécessité de réformer. Mais se pose alors la question suivante : réformer signifie-t-il faire briller la carrosserie de la Rolls-Royce ou plutôt remplacer le moteur 2CV par un moteur V8 ? Le bon sens dit : ce n’est qu’avec un moteur puissant que nous pourrons sauvegarder notre État-providence. Telle devrait être l’approche de toute réforme : comment pouvons-nous booster le moteur ?
- Pas en augmentant les impôts, et notamment ceux pesant sur les entreprises. Or, ne lit-on pas plus souvent ceci : il faut supprimer progressivement les voitures de société, s’attaquer au deuxième pilier des pensions, taxer les biens mobiliers et immobiliers (le capital)... ? La voie de la moindre résistance est toujours la plus facile : lever des impôts peut sans doute aider à très court terme, mais c’est destructeur à plus long terme. C’est comme un antalgique qui atténue la douleur pendant un temps limité sans s’attaquer à la maladie qui la provoque.
- Pas en procédant à une réforme des pensions comme l’été dernier, prévoyant des extras sans intervenir de manière fondamentale.
Lier l’âge de la retraite à l’augmentation de l’espérance de vie est la chose la plus normale au monde dans la plupart des pays. Dans notre pays, certains veulent le contraire. Lorsque plus d’un tiers de la constitution de la pension est basée sur des périodes assimilées pour lesquelles aucune cotisation n’est versée, vous avez un problème. Nous sommes en outre confrontés à un système de retraite public assorti d’une indexation ET d’une adaptation au bien-être (péréquation) qui n’a pas d’égal.
Les salaires les plus élevés sont soumis à une lourde taxation illimitée, mais reçoivent une pension légale inférieure à 50% de leur dernier salaire. Et alors qu’ils sont encouragés à épargner eux-mêmes ou via leur entreprise depuis un quart de siècle, ils se retrouvent dans le collimateur de ceux qui veulent tout taxer. - Pas au moyen d’un deal pour l’emploi qui se concentre uniquement sur des droits supplémentaires à s’absenter ou des jours de formation supplémentaires qui génèrent finalement plus d’absentéisme plutôt que d’inciter à une formation complémentaire efficace.
Au contraire, un deal pour l’emploi doit, entre autres, viser une réforme calquée sur le modèle danois : limitation dans le temps du chômage (cette prise de conscience progresse enfin dans le chef de plusieurs partis politiques), dégressivité plus forte des allocations, les entrées et sorties du marché du travail devant être facilitées : la Belgique bâtit un château aux fortifications de plus en plus élevées pour celles et ceux qui travaillent, alors que le Danemark fait l’inverse. Il convient par ailleurs de miser davantage sur un suivi et une activation plus efficaces de la part des instances régionales. - Pas par une réforme fiscale qui crée à court terme un peu de pouvoir d’achat supplémentaire pour les bas revenus, mais qui en fait payer le coût par les entreprises et la classe moyenne.
Avec une telle tactique, le pouvoir d’achat global régressera sur le long terme en raison d’un taux d’emploi trop bas. D’ailleurs, personne ne croit à une réforme fiscale progressive. La première étape doit être de booster le moteur de la Rolls-Royce, car sans un moteur puissant, vous n’irez pas plus loin.
Autrement dit, une réforme fiscale doit viser à réduire la progressivité des taux et à élargir les barèmes d’imposition. Et ne doit en aucun cas cibler les incitants fiscaux à la R&D. Il est incompréhensible que l’on veuille réduire ces aides, alors que nous figurons dans le top trois des classements UE.
Et pour financer le tout, il convient avant tout de viser un taux d’emploi plus élevé et une réduction des dépenses publiques. La carrosserie de notre Rolls-Royce peut être considérablement allégée et rendue plus aérodynamique. - Pas en laissant déraper les coûts salariaux des entreprises par rapport à nos principaux partenaires commerciaux.
N’avons-nous tiré aucune leçon du passé ? Rappelons-nous la dévaluation de 1982, le gel des salaires et l’indice santé en 1993, le gel des salaires en 2008 et le saut d’index de 2017… Malgré ces leçons, nous sommes bien partis pour commettre la même erreur avec un accord salarial qui prévoit des primes qui n’ont jamais été aussi élevées lors de crises antérieures. Or elles n’étaient pas aussi profondes qu’aujourd’hui. Des indemnités vélo supplémentaires imposées de manière unilatérale, des indemnités de télétravail plus élevées, des jours de formation supplémentaires sans lien avec une quelconque politique de formation, des jours de congé assimilés introduits durant la crise du coronavirus dans le cadre du chômage temporaire sans financement (les entreprises devant puiser dans leurs propres poches pour les ouvriers) et ... les signaux inquiétants de la première étape de la réforme fiscale qui laissent présager le pire.
Tous les autres pays ne connaissent pas d’indexation automatique des salaires ni de norme salariale. Au contraire, dans ces autres pays, employeurs et syndicats procèdent, en ces temps d’inflation galopante, à un arbitrage entre pouvoir d’achat et maintien de l’emploi. Chez nous, les syndicats revendiquent des extras supplémentaires en sus d’une indexation des salaires de 10% voire plus. - Pas en laissant le niveau de l’enseignement se détériorer davantage.
Les initiatives PISA et de nombreuses autres études ne mentent pas. Récemment, un enseignant de l’enseignement secondaire francophone a témoigné que selon le programme pédagogique, il doit encore apprendre à ses élèves comment créer une SPRL, alors que cette forme de société n’existe plus. Une enseignante flamande s’est indignée du fait qu’elle consacre un quart de son temps à l’administration et à la rédaction de rapports. La direction, quant à elle, dispose de trop peu d’autonomie pour diriger elle-même la politique du personnel et la gestion des infrastructures. Est-il sensé que de nombreuses infrastructures scolaires restent inutilisées pendant environ un tiers de l’année, alors que d’autres organisations recherchent désespérément de telles infrastructures pour y pratiquer divers sports ou y effectuer des entraînements ?
RECHERCHER ENSEMBLE UNE RÉFORME INTÉGRALE
Peut-on être plus clair? Si nous ne remplaçons pas, prioritairement et rapidement, le moteur 2CV par un modèle V8, notre Rolls-Royce s’immobilisera en 2030. Et en affirmant cela, nous ne pointons pas seulement le gouvernement fédéral Vivaldi du doigt. Tous les gouvernements doivent passer en mode réforme.
Réformer le régime de chômage (fédéral) sans un contrôle renforcé (régions), c’est un coup d’épée dans l’eau. Au Danemark, les deux vont de pair : c’est le gouvernement de Copenhague qui décide du niveau des allocations, tandis que les 69 bureaux régionaux de l’emploi utilisent des KPI pour le contrôle et le suivi. En Belgique, la réforme des retraites relève principalement de la compétence du fédéral, mais cela ne doit pas impliquer que les retraites des fonctionnaires régionaux et locaux ne doivent pas être réformées.
Je pourrais poursuivre ainsi mon analyse pendant un moment encore, mais l’essentiel apparaît clairement : il faut d’abord booster le moteur 2CV et alléger la carrosserie de la Rolls-Royce. Ce n’est qu’après que nous pourrons envisager de rénover l’intérieur. Et pas l’inverse !
La FEB a fait sa part du travail – voir « Horizon Belgique 2030 - Vision pour un avenir meilleur pour la Belgique » – et a prouvé à maintes reprises dans le passé qu’elle peut et veut conclure des accords – aussi difficiles soient-ils – à condition qu’ils renforcent le moteur de notre pays. Nous n’abandonnerons pas cette vision dans les années à venir. Si les partis politiques qui aspirent au progrès pouvaient suivre notre exemple, nous passerions rapidement à la vitesse supérieure dans notre ascension du Mont Ventoux.