Personne ne profitera des querelles intestines de nos responsables politiques
Il est frappant de voir combien de réactions ont afflué ces dernières semaines de la part d’entrepreneurs se plaignant du spectacle donné par le monde politique. Autant ils sont satisfaits de la gestion (collective) de la crise du coronavirus, autant ils sont inquiets quant à l’approche des dossiers cruciaux pour les mois à venir. Le marché du travail en ébullition, les contradictions qui minent le dossier énergétique, l’abandon progressif des mesures de soutien, les mesures budgétaires qui sont lancées, la gratuité qui resurgit... autant de ballons qui, à peine lancés, sont rapidement crevés par les opposants, mais qui restent ancrés dans l’esprit des investisseurs et des entrepreneurs. En effet, il n’y a jamais de fumée sans feu. Quelles en sont les conséquences ?
Dans le monde des entreprises, une telle approche conduit inévitablement à une attitude attentiste et plonge les investissements dans un climat incertain. Les investisseurs internationaux, extrêmement importants pour notre pays, assistent également à ce spectacle. Le fait que l’indicateur de confiance de la Banque nationale stagne depuis un certain temps n’est bien sûr pas uniquement dû à des phénomènes internes à la Belgique. Le problème, c’est que lorsque la confiance s’enfuit au galop, elle revient au trot.
Les recettes qui n’ont pas fonctionné dans le passé ne fonctionneront pas davantage aujourd’hui. Le tout gratuit qui sévissait il y a une vingtaine d’années refait surface aujourd’hui (par exemple, la gratuité des transports publics). S’il y a bien une chose que j’ai apprise de mon père, c’est que le gratuit n’existe pas ! Ce qui est gratuit aujourd’hui sera d’une manière ou d’une autre payé par quelqu’un demain.
Les inadéquations d’ordre quantitatif, qualitatif et géographique sur le marché du travail sont plus aiguës que jamais. C’est ce que ressentent très fort nos entrepreneurs aujourd’hui. Annoncer aujourd’hui des mesures qui orientent les travailleurs vers le chômage plutôt que vers un autre employeur est en totale contradiction avec cette réalité. Et cela désarçonne nos entrepreneurs. Le coronavirus a requis une gestion de crise. L’embrasement du marché du travail nécessite la même approche. Et il ne faut pas forcément adopter de nouveaux AR ou de nouvelles lois. Ce qu’il faut certainement, c’est une gestion de crise de la part du Forem, d’Actiris et du VDBA, conjointement avec les agences d’intérim, pour mettre en relation les postes vacants et les demandeurs d’emploi. Les droits et obligations ainsi que la flexicurité sont des principes de base on ne peut plus normaux dans des pays comme le Danemark. Le jour où s’est tenue la conférence sur l’emploi dans notre pays (le 8 septembre), la Première ministre danoise l’a une nouvelle fois fait savoir à l’ensemble de la population danoise sans détour et en des termes très clairs. Un tel discours ferait déjà avancer considérablement les choses chez nous.
Dans le dossier de l’énergie, il convient de lever rapidement les contradictions. Les entrepreneurs sont plus que quiconque conscients de la nécessité de la transition énergétique. Aucun de ceux que je rencontre aujourd’hui ne s’y oppose. Bien au contraire. En revanche, ils se posent la question suivante : qui va payer la facture du CRM, le mécanisme de subventionnement pour la construction de centrales électriques alternatives (au gaz) ? Comment expliquer que chacun doive faire un effort pour réduire les émissions de CO2, alors que d’autres décisions conduiront à une hausse des émissions de CO2 ? Comment et à quel coût la sécurité d’approvisionnement sera-t-elle assurée ? Toutes les procédures (permis...) seront-elles achevées à temps ? Telles sont les questions qui sont soulevées aujourd’hui.
Il faut ensuite parler budget. Le fait qu’en 2022, après les mesures de soutien massives, nécessaires et très appréciées prises dans le cadre de la crise du coronavirus, nous n’aurons pas immédiatement un budget en équilibre n’est pas un problème. Par contre, la trajectoire à suivre pour atteindre un budget en équilibre après un certain temps sera cruciale. D’une part, il s’agira d’investir massivement et surtout de manière ciblée. Les investissements dans la production (et non dans la consommation), comme ceux prévus dans le plan d’investissement interfédéral, doivent maintenant être lancés rapidement. Y aura-t-il des procédures d’autorisation accélérées ? Misera-t-on sur les partenariats public-privé ? Ce sont les réponses à ces questions qui intéressent aujourd’hui les entrepreneurs. La bêche est prête. Elle doit seulement pouvoir être enfoncée dans le sol... Et de préférence, pas après des années de lutte pour l’obtention de permis et de procédures de recours devant le Conseil d’État. D’autre part, un test d’efficacité des dépenses publiques ne devrait pas être tabou, pas plus qu’une réforme fiscale globale qui réduise le coin fiscal (la différence entre le coût salarial pour l’employeur et le salaire net pour le travailleur) et qui élimine la progressivité trop forte de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.
Face au spectacle peu reluisant auquel les entrepreneurs ont assisté ces dernières semaines – largement étalé jour après jour dans les journaux et les médias –, les esprits commencent à s’agiter. Quel que soit le contenu de chacun de ces dossiers au final, les entreprises continueront toujours à entreprendre pour créer un maximum de prospérité et mettre un maximum de personnes au travail. Mais il est temps d’arrêter de se chamailler, de faire silence radio, de discuter contenu et de trouver des solutions. La FEB et ses fédérations professionnelles ont toujours adopté une attitude constructive et orientée vers les solutions dans les moments difficiles. Maintenant aussi, le monde des entreprises prendra ses responsabilités.
Je lance dès lors un appel pressant au Premier ministre De Croo : vous avez prouvé pendant la crise du coronavirus que vous êtes un bon coach et un bon gestionnaire ; il faut à présent que vous mobilisiez vos troupes pour un débat sur le fond. Je lance également un appel pressant au Premier ministre et aux Ministres-Présidents : concluez un pacte sur la gestion de la crise qui frappe le marché du travail ainsi qu’un accord global sur le futur mix énergétique. Je lance enfin un appel pressant aux présidents des partis des différentes majorités : les sondages sont un instantané, les trophées sont remis à l’arrivée.
Il faut garder la tête froide, telle est la consigne à suivre. Car personne ne profitera des querelles intestines de nos responsables politiques.