Le canari dans la mine de charbon
Une inflation de plus de 10%, l’explosion des coûts salariaux de plus de 20 milliards EUR pour les entreprises, un handicap salarial qui fonce à nouveau vers les 16%... autant d’évolutions dont il ne faut guère s’inquiéter. Du moins si l’on en croit le discours de certains je-sais-tout, et même de certains experts, sur les médias sociaux. Ne soyons quand même pas naïfs ! Les dernières décennies ont montré à outrance que nier l’évidence est toujours une attitude dangereuse.
La vague de faillites, reportée jusqu’ici mais qui gonfle actuellement, ne laisse en effet planer aucun doute. Même si cette vague se limite encore aujourd’hui aux petites entreprises, le signal est bien là. Et ceux qui n’écoutent pas le canari dans la mine risquent gros.
Cinq signaux, cinq conséquences
- L’inflation sous-jacente (sans tenir compte des prix de l’alimentation et de l’énergie) a déjà dépassé les 4%, alors qu’elle se maintenait de manière très stable depuis des années autour de 1,5%, et que la Banque centrale européenne fixe un objectif de 2%. Les taux d’intérêt vont dès lors augmenter. Autrement dit, emprunter de l’argent va devenir plus coûteux. Nos autorités vont devoir payer plus d’intérêts sur la dette publique, ce qui va grever le budget de l’État. Quant aux entreprises qui empruntent pour investir, elles vont devoir débourser davantage.
- Le handicap des coûts salariaux de 16% qui existait à la fin du gouvernement Di Rupo (2014) et qui a été réduit à un peu plus de 10% (2019) sous le gouvernement Michel sera de retour à la fin de l’année prochaine. Celui qui espère que l’Allemagne va augmenter les salaires aussi fort que la Belgique se berce d’illusions. Au contraire, les Allemands retardent même l’adaptation des salaires à la hausse du coût de la vie d’un an, étant donné qu’ils ne mèneront des négociations salariales qu’en 2023. Nous, Belges, nous nous tirons donc deux fois une balle dans le pied : nous indexons plus rapidement (en temps réel) et intégralement, c’est-à-dire à un pourcentage nettement plus élevé que la concurrence dans nos pays voisins !
- En raison notamment de l’enchérissement des matières premières, combiné à la flambée des prix de l’énergie et aux indexations salariales, certaines entreprises risquent de cesser leurs activités, parce qu’elles ne sont plus rentables en Belgique. Il sera dès lors important de surveiller le chômage temporaire dans les mois à venir. Ou peut-être pire encore : le nombre de restructurations ou de délocalisations.
- Au plus fort de la crise du coronavirus, de nombreuses entreprises ont gardé la tête hors de l’eau grâce à toute une série de mesures de soutien. Il était même impossible de déclarer des entreprises en faillite. Maintenant que le moratoire sur les faillites touche à sa fin, cela se traduit également dans les chiffres.
- Mi-2021, de nombreuses entreprises ont pu rétablir leur rentabilité. Mais sous la pression de la crise ukrainienne venant s’ajouter à la crise du coronavirus (qui sévit toujours en Chine) et des hausses des prix des matières premières et de l’énergie qui en résultent, les marges se contractent à nouveau fortement. Il en résulte un report des investissements. Et ce sont précisément ces investissements qui détermineront la croissance et les emplois de demain.
Celui qui ignore ces signaux sans équivoque se rend coupable de négligence grave. Il est facile de détourner le regard des problèmes. Par contre, mettre les mains dans le cambouis demande du courage. Comme si les signaux du canari dans la mine n’étaient pas suffisants, certains veulent maintenant encore saper la seule protection de notre position concurrentielle qui nous reste, et donc des emplois et des revenus.
Nous ne trichons pas, nous protégeons !
En effet. Que dire de ceux qui veulent miner nos derniers mécanismes de défense ? Ceux qui veulent remettre sur le métier la loi de 1996 sur la norme salariale. Ceux qui prétendent que la modernisation opérée par la loi de 2017, c’est de la triche, alors que c’est précisément l’inverse qui est vrai. En effet, c’est grâce à trois interventions que la loi de 2017 a supprimé les bugs de la loi de 1996 :
- Par exemple, les diminutions de charges ne peuvent plus être incluses dans le calcul de la marge salariale. Or les syndicats prétendent que tenir compte de ces diminutions offrirait une plus grande marge de manœuvre pour la norme salariale. Ce qu’ils passent sous silence, c’est que c’est en fait abuser des ressources de la sécurité sociale et de l’État pour financer des augmentations des salaires bruts et pour doper les résultats des négociations salariales au lieu de sauvegarder la compétitivité du pays – et donc la création d’emplois. Ça, c’est de la triche.
- La loi de 1996 appliquait le principe selon lequel le dépassement de la marge salariale lors de négociations ultérieures ‘pouvait’ être déduit de la nouvelle marge salariale. Les syndicats s’y sont opposés. Pour eux, ‘donner, c’est donner ; reprendre, c’est voler’. Nous avons vu ce que cela a donné : une accumulation systématique de dérapages salariaux par rapport à nos pays voisins. La loi modifiée de 2017 inverse le principe en bon père de famille : d’abord donner moins, puis ajouter automatiquement le ‘trop peu donné’ à la marge salariale suivante. La raison se comprend aisément : il est plus facile de donner un peu plus plus tard que de devoir reprendre par la suite ce qui a été donné. Mais les syndicats veulent revenir à l’ancien principe et ne pas procéder à une correction quand on a accordé trop aux travailleurs. Ça, c’est de la triche.
- Dans le passé, comme le montrent des analyses du CCE, la marge salariale était systématiquement surestimée de 0,7% : les augmentations salariales attendues dans les pays voisins étaient surestimées, l’inflation en Belgique sous-estimée, d’où une marge salariale trop élevée. C’est la raison pour laquelle une marge de sécurité de 0,5% a été introduite par la loi de 2017. Si cette marge de sécurité ne s’avère pas nécessaire par la suite, elle est restituée la fois suivante. Mais les syndicats estiment qu’une telle marge de sécurité pour les erreurs de prévision est superflue. Ça, c’est de la triche.
« Nier l’évidence n’a jamais résolu aucun problème. Bien au contraire ! »
En tant que principale organisation d’employeurs du pays, nous ne voulons pas nous rendre coupables de négligence ou fermer les yeux sur la réalité. Nous écoutons les signaux du canari. Plus nous attendons avant d’agir, plus les interventions seront brutales. Plus nous tergiversons, plus nous nous rapprochons à nouveau d’un handicap de 16% en matière de coûts salariaux.
Nous réitérons donc notre message : agissons ensemble et répartissons le coût de cette crise sur les trois grands acteurs du pays : les pouvoirs publics, les employeurs et les travailleurs. Les lois économiques sont ce qu’elles sont. Ce n’est pas en continuant à bidouiller ou en minant notre seule ligne de défense que nous atténuerons leur impact. Non, c’est en intervenant dès à présent que nous pourrons amortir les conséquences économiques. Si nous ne le faisons pas, les lois économiques s’appliqueront de manière impitoyable.