Le dérapage des coûts freine sérieusement les investissements et la croissance

Tous les six mois, la Fédération des entreprises de Belgique mène une enquête auprès de ses fédérations sectorielles membres pour mesurer la température économique. Cette enquête semestrielle montre que le net redressement enregistré par les entreprises belges au cours des trois premiers trimestres de 2021 (après l’abandon progressif des mesures anti-COVID) présentait déjà des signes de faiblesse à la fin de l’année, et ce, en raison des fortes hausses des prix de l’énergie et des matières premières engagées à partir de l’été 2021.


Pieter Timmermans, CHIEF EXECUTIVE OFFICER
06 July 2022

L’éclatement de la guerre en Ukraine fin février 2022 a ensuite fait exploser les prix de l’énergie et provoqué toute une série de nouvelles hausses des prix des matières premières (agricoles). Ainsi, l’inflation en Belgique a bondi à un niveau de 8 à 9%, ce qui, par le biais de l’indexation automatique des salaires, entraînera une hausse des coûts salariaux dans notre pays d’environ 11% en 2022-2023, soit 5 points de pourcentage de plus que dans les pays voisins.

Impact négatif de la crise de compétitivité

Cette explosion soudaine et plus prononcée des coûts place les entreprises belges dans une position particulièrement délicate. Elles se voient en effet contraintes d’augmenter davantage leurs prix sur le marché intérieur et à l’étranger que leurs concurrents des pays voisins afin de rester plus ou moins rentables. Et cela ne sera pas sans conséquences...

Sur le marché intérieur, la spirale prix-salaires tant redoutée se fait déjà clairement sentir (avec une inflation sous-jacente de 5,1%). Sur les marchés étrangers, les augmentations de prix que les entreprises doivent appliquer pour survivre entraîneront une baisse des parts de marché, de la production et de la création d’emplois d’ici 6 à 18 mois. L’écart salarial croissant avec les autres pays rendra également notre pays moins attrayant pour les investissements étrangers et provoquera de nouvelles délocalisations.

Dans un contexte de baisse de la rentabilité (et donc de diminution des possibilités d’autofinancement), de hausse des taux d’intérêt et de ralentissement de la croissance des exportations, de nombreuses entreprises vont également reporter et/ou revoir à la baisse leurs projets d’investissement. Cela ressort aussi de notre enquête auprès des fédérations sectorielles.

Au cours des prochains trimestres, le pouvoir d’achat préservé des ménages ainsi que les carnets de commandes bien remplis des entreprises de construction et de rénovation, et des stocks solides (réaction logique à un contexte de pénurie et de forte hausse des prix) soutiendront encore quelque peu la croissance (2,2% en moyenne en 2022). Mais au cours de l’année 2023, les effets à long terme de la crise de compétitivité se feront de plus en plus sentir.

Par conséquent, la croissance économique de notre pays sera pratiquement au point mort en 2023 (0,5%) en raison d’une baisse des investissements des entreprises et d’une contribution de plus en plus négative des exportations nettes.

Par ailleurs, si la spirale prix-salaires continue de produire ses effets et que l’inflation dépasse 10%, une récession sera difficile à éviter en 2023. En effet, nous devrions alors également tenir compte d’une augmentation significative du différentiel de taux d’intérêt à long terme avec l’Allemagne et les Pays-Bas, qui pèserait à la fois sur les investissements des entreprises et des ménages et rendrait encore plus difficile la situation budgétaire des autorités de notre pays. Outre le durcissement de la politique monétaire, il faudrait dès lors resserrer sensiblement les brides budgétaires.

Nécessité d’une intervention rapide

Pour pouvoir encore éviter ce scénario défavorable, les mesures suivantes s’imposent d’urgence :

Premièrement, il faut entamer d’urgence une concertation tripartite pour examiner comment aborder la crise de compétitivité et parvenir à une répartition équitable, entre les entreprises, les consommateurs et le gouvernement, de la perte de prospérité occasionnée par la guerre. L’on pourrait, par exemple, envisager de limiter temporairement l’impact de l’indexation automatique des salaires jusqu’à ce que l’on sache quelles seront les augmentations de salaires dans les pays voisins. Les mesures prises au Luxembourg (le seul autre pays d’Europe continentale à disposer d’un système d’indexation automatique des salaires) sont à recommander. Au Luxembourg, les employeurs, les travailleurs et le gouvernement ont conclu un accord tripartite en vertu duquel la tranche d’indexation de 2,5% sera reportée à l’année prochaine ou à l’année suivante. Dans le même temps, afin de soutenir le pouvoir d’achat des revenus les plus faibles, une réduction de l’impôt sur le revenu des personnes physiques est mise en œuvre pour les quatre tranches de revenus les plus basses.

D’autres mesures pourraient être éventuellement envisagées : indexer les salaires uniquement en pour cent jusqu’à un certain niveau de rémunération (par ex. 2% jusqu’à un salaire de 3.500 EUR brut) et appliquer une indexation forfaitaire au-dessus de ce niveau (de 70 EUR par ex.). En outre, on peut également réfléchir, dans le cadre de la concertation sociale sectorielle, à une meilleure valorisation de l’indexation, en utilisant les augmentations prévues des salaires bruts pour harmoniser le deuxième pilier de pension entre les ouvriers et les employés.

En tout état de cause, pour la prochaine période d’accord interprofessionnel (AIP 2023-2024), la loi sur la norme salariale devra être appliquée correctement pour amorcer un redressement progressif de notre compétitivité.

Afin de rendre les coûts énergétiques plus maîtrisables pour les entreprises, les accises spéciales sur l’électricité pour les entreprises devraient pouvoir être supprimées (au moins temporairement). Et pour les entreprises de plus grande taille et plus intensives en énergie, il faudrait idéalement réduire les coûts de transport d’Elia de 90%, le maximum autorisé par l’Europe et déjà (partiellement) appliqué en Allemagne, aux Pays-Bas et en France.

Dans le même temps, il importe de prendre les mesures nécessaires pour rendre notre marché du travail plus dynamique et augmenter l’offre de main-d’œuvre. Dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre, d’augmentation des salaires et de pression inflationniste, il n’est plus tenable qu’un pays affichant l’un des taux d’emploi les plus bas d’Europe ait également le taux le plus élevé de postes vacants.

La réduction du nombre de personnes non actives aura bien entendu aussi un impact positif sur les finances publiques. Toutefois, pour être mieux armés budgétairement face à une éventuelle forte hausse des taux d’intérêt à long terme dans notre pays, il faudrait également examiner dans le détail les dépenses publiques actuelles de toutes les autorités de notre pays (par ex. dans le cadre d’un débat sur les missions essentielles ou d’un exercice ‘zero-based budgeting’) et les réduire de manière drastique.

Il est donc grand temps que les décideurs politiques prennent conscience des conséquences de la crise de compétitivité qui va nous frapper et qu’ils adoptent rapidement des mesures pour en éviter les pires effets. Aujourd’hui, il est encore possible d’éviter de nombreux dommages en prenant des mesures relativement limitées. Par contre, si nous attendons trop longtemps, les conséquences seront beaucoup plus graves et les mesures nécessaires seront nettement plus draconiennes (qu’elles soient imposées de l’extérieur ou non).

Lire ou télécharger le Focus Conjoncture ainsi que la présentation PPT.

Our partners

Business Issues

An optimum business environment is vital for a sound economy and sustainable growth. FEB aims to help create and maintain such an environment by, among other things, closely monitoring all issues of direct relevance to businesses. Here, grouped into 17 themes, are the issues on which FEB focuses most of its attention and action.


newsletters and press releases

Subscribe now and receive every week the latest articles directly in your mailbox