Pour les entreprises belges, la politique monétaire ultrasouple de la BCE a surtout eu des avantages

Depuis quatre ans, la Banque centrale européenne (BCE) mène une politique monétaire ultrasouple, en recourant également à des instruments peu orthodoxes, comme des taux d’intérêt à court terme négatifs et des achats d’obligations sur le marché ouvert. L’on reproche souvent à cette politique d’encourager la prise de risques non permis et de faire apparaître des bulles spéculatives. Une analyse du service d’étude de la FEB a toutefois permis de constater que cette politique avait surtout eu des effets positifs et avait aidé à prévenir une longue période de stagnation économique. L’appréciation de l’euro en 2017 a cependant affaibli quelque peu ces effets positifs.


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11 June 2018

Après l’éclatement de la crise financière en septembre 2008, la BCE a assoupli drastiquement sa politique monétaire en ramenant le taux directeur de 4,25% à 1% en moins d’un an. Une brève tentative de retour à la normale en avril et en juillet 2011 (1,5%) a été interrompue de façon abrupte par l’éclatement de la crise des dettes souveraines en Europe, des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Irlande et Chypre ayant dû faire appel aux plans de sauvetage financiers de la BCE, de l’UE et du FMI. La BCE a ensuite ramené progressivement le taux directeur de 1,5% à 0,25% en novembre 2013.

Jusqu’au printemps 2014, la reprise économique en Europe n’avait cependant connu pratiquement aucun nouvel élan et l’inflation demeurait extrêmement basse. Dans ce contexte, de nombreux économistes et instituts de recherche craignaient une longue période de stagnation économique. Mi-2014, la BCE a dès lors décidé d’intervenir en appliquant des méthodes moins orthodoxes. Le 5 juin 2014, le taux de dépôt auprès de la BCE est devenu pour la première fois négatif si bien que les banques devaient désormais payer pour déposer leurs excédents de liquidité « overnight » auprès de la BCE. Le 9 mars 2015, elle a lancé un programme d’achats d’obligations d’entreprise et d’obligations d’État sur le marché ouvert pour faire également baisser les taux à long terme, le fameux bazooka de la BCE.

Quelles conséquences pour les entreprises belges ?

Cette politique monétaire ultrasouple de la BCE a d’abord eu pour conséquence que les taux d’intérêt sur les crédits d’investissement s’élevaient, début 2016, à moins de 2% pour les entreprises belges.

Deuxièmement, et c’est sans doute plus important encore, le différentiel de taux croissant entre les obligations d’État européennes et américaines a engendré une forte dépréciation de l’euro, ce qui a rendu les exportations belges à l’étranger meilleur marché. Le taux de change effectif nominal de l’euro a chuté d’environ 6% entre début 2014 et fin 2016. Ajoutée aux premières mesures visant à améliorer la compétitivité prises par le gouvernement fédéral en 2015 et 2016, cette baisse a entraîné durant cette période une amélioration du taux de change effectif réel belge de près de 10% en moins de 2 ans, certes à partir d’une situation très défavorable.

Cela a fortement boosté les entreprises exportatrices belges. Ainsi sont-elles parvenues à conquérir de nouvelles parts de marché à l’international, ce qui n’était plus arrivé depuis longtemps. Entre fin 2014 et fin 2016, les exportations belges ont en effet augmenté de 6,7% par an en termes réels, soit une croissance nettement supérieure à celle de nos marchés à l’exportation. Sous l’effet de ce rétablissement de la croissance belge grâce aux exportations, les capacités de production ont également connu une meilleure occupation, ce qui a conduit à une forte reprise des investissements, dopée dans un même temps par les taux extrêmement bas sur les crédits d’investissement. Tant en 2016 qu’en 2017, les investissements des entreprises belges ont progressé d’environ 5% en volume.

Après le Brexit (juin 2016) et l’investiture du Président Trump (janvier 2017), l’euro s’est toutefois à nouveau sensiblement apprécié, sous l’effet également de la reprise de la conjoncture européenne. Le taux de change effectif nominal belge par rapport à 36 pays a augmenté d’environ 4% en 2016 et 2017. Ce n’est que grâce au tax shift et au maintien de la modération salariale réelle dans l’AIP 2017-2018 que le taux de change effectif réel belge a quand même pu se stabiliser et que la compétitivité belge ne s’est pas détériorée davantage. Et comme d’autre part, l’euro plus cher n’a pas permis un nouveau rétablissement de la compétitivité, la reconquête de parts de marché s’est pour ainsi dire interrompue en 2017.

Et pour les ménages ?

En ce qui concerne les ménages belges (qui sont d’importants épargnants nets), les revenus d’intérêt se sont sensiblement contractés lorsque la BCE a baissé ses taux directeurs, faisant chuter les taux d’intérêt sur les carnets d’épargne, les comptes à terme et les bons de caisse. Au cours de cette période, la baisse des revenus d’intérêt a eu un effet négatif de -0,35% par an sur la croissance du revenu disponible des ménages, c’est plus que dans d’autres pays européens.

D’un autre côté, les taux d’intérêt bas ont dopé la consommation et l’investissement des ménages (logements et rénovations) au détriment du taux d’épargne qui est passé de 18% en 2010 à 11,5% en 2016-2017. Cette dernière évolution est aussi due à la baisse concomitante du chômage et à la baisse des revenus d’intérêt. Néanmoins, on peut affirmer que la baisse des taux d’intérêt a considérablement contribué à la reprise prudente de la consommation et des investissements des ménages belges.

Bulles spéculatives ?

Se pose une dernière question importante : la politique monétaire ultrasouple a-t-elle engendré des bulles spéculatives en Belgique ? Sur les marchés des actions, rien ne l’indique en tout cas. L’augmentation des cours en 2016-2017 semble refléter normalement la hausse de la rentabilité et la baisse des taux d’intérêt. Sur le marché de l’immobilier résidentiel, l’on note depuis 2014 une légère accélération du rythme d’augmentation des prix des logements de 3 à 4% par an, par rapport à une croissance moyenne de 2,6% sur le long terme. Cette légère accélération succède toutefois à une période de relative stagnation durant la période 2012-2014, si bien que ceci ne semble pas anormal.

Il est cependant question d’un certain accroissement du taux d’endettement hypothécaire des ménages belges qui atteint à nouveau 65% de leur revenu disponible brut annuel, soit environ le même niveau qu’en 2017. Vu les taux d’intérêt actuels qui modèrent la charge de remboursement, ce n’est certainement pas exagéré, mais si les taux d’intérêt venaient à remonter, il s’agira de se monter un peu plus vigilant.

Enfin, avec les crypto-monnaies, une bulle spéculative évidente s’est formée en 2017, laquelle peut s’expliquer en partie par la recherche de rendements plus élevés, mais est surtout due à l’offre limitée et à un effet de mode technologique. L’impact de ce qui précède sur l’économie belge est toutefois demeuré relativement faible en raison de l’importance limitée des montants qui y sont investis.

Edward Roosens, Chief Economist de la FEB, conclut : « Au final, la politique monétaire de la BCE s’est avérée adéquate pour la Belgique. Elle a permis de sortir d’une longue crise économique (2008-2013) et d’éviter la stagnation séculaire ainsi que la déflation tout en évitant dans une large mesure de générer des effets secondaires nocifs. Compte tenu de la nature toujours fragile de la reprise économique en Europe et de l’inflation relativement faible, il semble indiqué de ne normaliser la politique monétaire que très progressivement. »

 

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