Politique monétaire : privilégier un resserrement très progressif
Depuis quatre ans, la Banque centrale européenne (BCE) mène une politique monétaire ultrasouple, en recourant également à des instruments peu orthodoxes, comme des taux d’intérêt à court terme négatifs et des achats d’obligations sur le marché ouvert. Demain, le Conseil d’administration de la BCE se réunit à nouveau à Francfort pour décider de la poursuite ou non du programme d’achats actuel et du calendrier de sa suppression. L’économiste en chef de la BCE, le Belge Peter Praet, a déjà fait allusion à cette réunion la semaine dernière. Compte tenu de la nature toujours fragile de la reprise économique en Europe et de l’inflation relativement faible, il nous semble indiqué de choisir la voie de la progressivité pour cette nécessaire normalisation de la politique monétaire.
Une analyse de notre service d’étude a permis de constater que la politique monétaire de la BCE a eu des effets positifs pour les entreprises belges. Les taux d’intérêt bas ont permis de sortir d’une longue crise économique (2008-2013) et d’éviter une période de stagnation séculaire, voire de déflation, tout en évitant dans une large mesure de générer des effets secondaires nocifs. Cette politique monétaire ultrasouple de la BCE a d’abord eu pour conséquence que les taux d’intérêt sur les crédits d’investissement pour les entreprises belges ont diminué de moitié en quelques années, passant de près de 4% à moins de 2% début 2016.
Deuxièmement, le différentiel de taux croissant entre les obligations d’État européennes et américaines a engendré une forte dépréciation de l’euro, ce qui a rendu les exportations belges meilleur marché. Le taux de change effectif nominal de l’euro a chuté d’environ 6% entre début 2014 et fin 2016. La faiblesse de l'euro et les mesures de compétitivité adoptées par le gouvernement fédéral (modération salariale, saut d’index et tax shift) ont formé un cocktail qui a fortement boosté les entreprises exportatrices belges. Celles-ci sont parvenues à conquérir de nouvelles parts de marché à l’international, ce qui n’était plus arrivé depuis longtemps. Entre fin 2014 et fin 2016, les exportations belges ont en effet augmenté de 6,7% par an en termes réels. Sous l’effet de cette croissance axée sur les exportations, les capacités de production ont également connu une meilleure occupation, ce qui a conduit à une forte reprise des investissements, dopée dans un même temps par les taux extrêmement bas sur les crédits d’investissement. Tant en 2016 qu’en 2017, les investissements des entreprises belges ont progressé d’environ 5% en volume.
Après le Brexit (juin 2016) et l’investiture du Président Trump (janvier 2017), l’euro s’est toutefois à nouveau sensiblement apprécié, sous l’effet également de la reprise de la conjoncture européenne. Ce n’est que grâce au tax shift et au maintien de la modération salariale réelle dans l’AIP 2017-2018 que le taux de change effectif réel belge a quand même pu se stabiliser et que la compétitivité belge ne s’est pas détériorée davantage. Et comme d’autre part, l’euro plus cher n’a pas permis un nouveau rétablissement de la compétitivité, la reconquête de parts de marché s’est pour ainsi dire interrompue en 2017.
Nombreux sont ceux qui ont souligné ces dernières semaines les risques inhérents à la politique ultrasouple de la BCE.Elle contribuerait à dissimuler les problèmes structurels sous-jacents des entreprises et autorités, et favoriserait la création de bulles. Sur les marchés des actions, rien ne l’indique en tout cas. Et on ne peut certainement pas parler non plus de dérapage des prix immobiliers dans notre pays. Ces dernières années, la hausse des prix n’a affiché un rythme que légèrement supérieur à la moyenne à long terme. Par contre, une bulle spéculative s’est clairement formée concernant les crypto-monnaies, mais celle-ci n’était qu’en partie due à la politique des taux faibles. L’offre limitée et l’effet de mode technologique ont également joué un rôle.
La suppression de cette politique monétaire ultrasouple de la part de la BCE ne sera naturellement pas sans conséquences pour les ménages, les entreprises et les autorités. Les ménages ont certes augmenté leurs investissements, mais cela vaut également pour leur taux d’endettement, qui atteint à nouveau jusqu’à 65% de leur revenu disponible, soit un peu plus que le pic enregistré en 2007. Bien que les intérêts sur la majeure partie de ces dettes s’inscrivent sur le long terme (et sont aussi généralement limités à la hausse), il convient d’éviter un relèvement trop brusque des taux.
Une suppression progressive du programme d’achats s’avère dès lors indiquée, y compris pour ne pas provoquer une nouvelle appréciation de l’euro. La reprise économique européenne pourra ainsi être maintenue au maximum, car dans les années à venir, nous allons devoir louvoyer entre les incertitudes inhérentes à un nouveau gouvernement italien nourrissant des projets budgétaires hasardeux, à un scénario de plus en plus imprécis concernant le Brexit et à une politique commerciale imprévisible du président américain Trump.
Pieter Timmermans, administrateur délégué